Quand la passion rime avec la meilleure science

Powell croit que le domaine devrait se pencher davantage sur l’évaluation rigoureuse des traitements comportementaux dans le cadre d’essais comportementaux d’efficacité et d’efficience.

D’abord intéressée par les études épidémiologiques longitudinales et les essais cliniques, Dre Lynda Powell a fini par porter son attention sur les essais cliniques comportementaux. Ses projets visent à contribuer à une meilleure compréhension des manières de mener des essais comportementaux, de la conception jusqu’à la mise en œuvre, en passant par l’analyse, l’interprétation et la progression.

Surmonter les défis en équipe

Après plusieurs années sans vraie direction comme enseignante à l’école publique et conseillère à l’université, on a offert à Powell l’opportunité de travailler sur l’un des premiers essais comportementaux jamais menés : le projet de prévention de la récurrence des maladies coronariennes (Recurrent Coronary Prevention Project). Lorsque les résultats ont démontré une réduction de 44 % du taux de récurrence des maladies cardiovasculaires chez les patients cardiaques présentant un comportement de type A, Powell était conquise. Depuis, sa passion pour l’intégration des traitements comportementaux au sein des services de soins de santé oriente sa carrière. « Goûter aux essais cliniques comportementaux a été comme ma première gorgée d’un vin blanc de Bourgogne », explique-t-elle, « j’ai été immédiatement séduite. »

Ces jours-ci, elle divise son temps entre ses tâches administratives départementales – dont mentorer le corps professoral du département et assurer les liens avec la haute direction – et ses recherches qui impliquent la direction de plusieurs équipes de recherche. Bref, peu importe la journée, Powell se retrouve invariablement « en réunion » compte tenu que tout son travail repose sur la collaboration avec d’autres.

D’ailleurs, selon Powell, le travail en collaboration joue un rôle clé dans ses recherches. L’équipe est au cœur de toutes ses démarches. Powell vante l’expertise de ses collègues au Département de médecine préventive de l’Université Rush, qui regroupe des experts en matière d’essais cliniques comportementaux dans les domaines de la médecine, de la psychologie, des biostatistiques et des essais cliniques; du personnel indépendant permanent de leur Centre de gestion de données qui développe, met en œuvre et analyse les données des essais; et du personnel administratif permanent qui soutient leurs efforts dans la soumission, la communication et la surveillance de la qualité des essais.

Toutefois, quoiqu’elle reconnaisse que les chercheurs travaillant dans le domaine des essais comportementaux passent beaucoup de temps à partager entre eux, elle croit qu’ils n’accordent pas suffisamment de temps à mieux comprendre les avancées en sciences fondamentales qui pourraient pourtant renforcer les interventions comportementales. De la même manière, elle croit qu’il importe de faire plus d’efforts pour créer des liens avec des professionnels de la santé afin de mieux comprendre les défis auxquels ils font face dans leur pratique et d’explorer comme les interventions comportementales pourraient les aider à surmonter ces défis. Elle croit que les meilleures avancées viendront en « réseautant davantage entre les disciplines, et un peu moins uniquement dans le nôtre ».

Dre Lynda Powell et l’un de ses plus importants collaborateurs, le cardiologue Dr Jim Calvin. « Une perspective médicale raffinée grâce à lui, et une perspective comportementale raffinée grâce à moi ».

Poursuivre l’élan des réussites passées

Les cadres théoriques orientant toutes ces recherches collaboratives sont basées sur des théories portant sur les manières de susciter les changements durables. Alors qu’elle était étudiante aux cycles supérieurs à l’Université Stanford, Powell a été mentorée par Al Bandura, et son travail actuel est donc orienté par la théorie sociocognitive ainsi que la théorie de l’autodétermination. Plus récemment, elle a commencé à s’inspirer des principes de modification des habitudes provenant du domaine des neurosciences (où les études ont démontré que les comportements alimentaires inappropriés ne sont pas une question de contrôle de soi mais bien de persistance des habitudes). Elle s’intéresse également depuis peu aux pratiques de pleine conscience comme manière de réduire l’appel des tentations et des désirs chez les patients qui sont aux prises avec des défis comportementaux tels que la mauvaise alimentation, le stress chronique et la sédentarité.

Powell est surtout connue pour avoir mené le consortium ORBIT aux côtés de ses collègues départementaux et institutionnels en tandem avec plusieurs sites de consortiums. Cet effort a mené au développement du modèle ORBIT pour le développement de traitements comportementaux (voir un sommaire du modèle ORBIT)

Après la récente réalisation de deux projets à grande échelle (une intervention à deux niveaux menée par un Centre en matière de disparités P50 et financée par le NHLBI, visant à réduire les hospitalisations répétées chez les patients afro-américains présentant une insuffisance cardiaque – une conception novatrice qui est encore peu comprise – et un mécanisme U01 financé par le NHLBI visant à développer une intervention pour prévenir la progression de la graisse abdominale chez les femmes traversant la ménopause), Powell se prépare maintenant pour un nouvel essai clinique comportemental multisite ambitieux visant à déterminer l’efficacité d’une intervention comportementale pour la rémission durable du syndrome métabolique. Et oui, Powell aura à prévoir encore beaucoup d’autres réunions car le projet regroupe six sites nationaux étasuniens et aura comme rôle de fournir le leadership nécessaire à l’essai et à la gestion des données. Le début de l’essai est prévu pour 2018.

Viser plus haut et plus loin

Powell croit que le domaine de la médecine comportementale devrait se pencher davantage sur l’évaluation rigoureuse des traitements comportementaux dans le cadre d’essais comportementaux d’efficacité et d’efficience. Actuellement, croit-elle, le domaine tend à s’arrêter aux essais comportementaux portant sur des résultats comportementaux ou intermédiaires. Ses projets actuels visent à utiliser des modèles orientés vers les essais d’efficacité. Elle estime qu’il s’agit là d’une direction particulièrement importante à explorer, notamment pour les nouveaux chercheurs.

Powell est particulièrement emballée par la venue de la médecine comportementale de précision – soit l’adaptation des interventions comportementales à ceux qui sont les plus susceptibles d’en bénéficier. « Nous devons prendre plus de temps pour développer les traitements comportementaux et pour les remanier de manière à accroître leur force, » explique Powell. Ceci signifie également de repenser notre engagement envers la généralisabilité des interventions pour l’ensemble des personnes atteintes des maladies qui sont du ressort de notre domaine. Elle croit qu’une approche centrée sur les patients signifie d’offrir des interventions à des sous-groupes de patients qui sont prêts à s’y investir pleinement. « Si seulement 50 % d’une population à risque adhère à un traitement pharmacologique, » demande-t-elle, « pourquoi devrions-nous nous attendre à une adhérence à 100 % à nos traitements comportementaux? ».

Elle poursuit son explication en faisant référence à une méta-analyse (Naci et Ionnidis, 2015, dans le British Journal of Sports Medicine) qui compare les approches d’interventions basées sur les médicaments et sur l’exercice en vue de réduire les récurrences de maladies cardiovasculaires. Alors que les deux approches présentent le même niveau d’efficacité parmi les 305 essais évalués, 81% des interventions étaient basées sur les médicaments et seulement 19% étaient basées sur l’exercice. Parmi les 339 274 patients inclus dans cette méta-analyse, 96% étaient impliqués dans un essai pharmacologique mais seulement 4% étaient impliqués dans un essai lié à l’exercice. Personne ne peut donc être surpris que les patients reçoivent immédiatement des médicaments après une crise cardiaque au lieu de se faire offrir des traitements comportementaux. « Nous ne faisons tout simplement pas assez d’essais comportementaux » conclut Powell, et son livre à paraître insiste que le nombre a peu d’importance si la qualité n’est pas au rendez-vous.

Promouvoir la science des essais cliniques comportementaux pour les maladies chroniques

À cet effet, Powell collabore avec l’un des membres fondateurs de l’IBTN Dr Kenneth Freedland ainsi qu’avec Dr Peter Kaufmann sur un nouveau livre intitulé « The Science of Behavioral Clinical Trials for Chronic Diseases » (Springer, 2018). Le livre portera sur l’anatomie et le développement d’un essai comportemental, incluant le choix du groupe de comparaison, et examinera l’importance des voies hypothétiques (« hypothesized pathways ») par lesquelles les traitements comportementaux peuvent se traduire en résultats cliniques primaires. Des chapitres seront également consacrés aux problèmes de faisabilité, aux études pilotes, à la protection de la randomisation, à la mesure des résultats et à la question critique de l’importance clinique, sans oublier l’exercice délicat de tout chercheur, celui de l’équilibre (ce qu’elle appelle « equipoise » dans son livre).

Forts de leurs voix de mentors, Powell et ses collègues proposent une orientation pour l’avenir du domaine dans l’introduction du livre :

« Mieux comprendre les erreurs faites dans le passé peut favoriser une compréhension plus riche quant aux manières de prendre des décisions dans le présent et de faire des plans pour l’avenir. Nous ne voulons pas que les nouveaux chercheurs suivent nos traces. Nous voulons qu’ils partent à la quête des réponses que nous avons cherchées, mais à l’aide d’approches mieux informées, plus sophistiquées et plus fructueuses. Nous voulons leur remettre un marteau plus léger que celui que nous avons reçu. Notre rôle est d’encourager leur succès. »

La capacité de Powell à traduire l’impact de ses recherches aux jeunes chercheurs ainsi qu’aux non-chercheurs, met en évidence les habiletés qu’elle a acquises tout au long de sa carrière à communiquer les objectifs du travail qui continue de les passionner, elle et ses collègues. Plus précisément, cette passion est de comprendre comment déterminer si une approche de traitement fonctionne réellement, et ce, afin de la promouvoir dans la pratique. Même s’il existe des différences importantes entre les essais pharmacologiques et les essais comportementaux, ce qu’ils doivent à terme partager est une évaluation rigoureuse de leur efficacité et de leur efficience. Selon Powell, nous avons besoin de renforcer le développement des interventions comportementales « avec la pureté méthodologique que nous voyons du côté médical. Ce sont eux les gardiens du domaine de la santé».

Dre Powell participera au Congrès 2018 de l’IBTN en mai prochain à Montréal ainsi qu’aux congrès du Society for Behavioural Medicine, de l’International Congress of Behavioural Medicine, et de l’Academy of Behavioural Medicine Research.

Modèle de développement d’une intervention comportementale ORBIT

Le modèle ORBIT du NIH est un cadre global et structuré appuyant le développement et ensuite la mise à l’essai de nouvelles interventions comportementales. Le modèle suit les cadres utilisés par l’industrie pharmaceutique, dont les sciences sociales fondamentales, les recherches sur le comportement, et les phases I à IV. Le modèle est fluide de façon à permettre de progresser ou de revenir en arrière selon le progrès et les résultats. Publié formellement en 2015, l’article ayant proposé le modèle est depuis devenu la pierre angulaire du domaine de la médecine comportementale.

Principales caractéristiques

  • Commencer en gardant la « fin » en tête
    • Le processus est orienté par les « questions cliniques significatives » des utilisateurs finaux (patients, professionnels de la santé)
  • Progression des phases fondamentales vers des phases plus cliniques/appliquées
    • S’oriente vers un essai d’efficacité
  • Chaque phase inclut des étapes « cliniquement significatives »
    • Préciser un critère a priori pour avancer à la prochaine phase du processus de développement de l’intervention
    • Accent mis sur l’atteinte d’un changement « cliniquement significatif » (et non pas seulement statistiquement significatif) par rapport aux cibles comportementales
  • Souplesse en termes de :
    • Nombre et types d’études au sein des phases
    • Durée de chaque phase
    • Déplacement d’une phase à l’autre (possible de « sauter » une phase si nécessaire)
  • Le processus est bidirectionnel
    • Permet les « échecs » et les retours vers des phases précédentes au besoin
Dre. Lynda Powell est la professeure Charles J. et Margaret Roberts en médecine préventive, médecine (cardiologie), sciences comportementales et pharmacologie, ainsi que présidente du département de médecine préventive et du Centre médical de l’Université Rush. Ses recherches portent sur le développement de traitements comportementaux et la conduite d’essais cliniques comportementaux randomisés visant à promouvoir la santé cardiovasculaire. Dre. Powell a été chercheure principale sur six importants essais cliniques comportementaux randomisés, et professeure fondatrice et ancienne codirectrice de l’Institut d’été sur les essais cliniques comportementaux du NIH-OBSSR, qui en est maintenant à sa 17e année d’existence. Dre. Powell est chercheure principale au réseau ORBIT, financé par le NIH, qui inclut sept sites travaillant au développement d’interventions comportementales en matière d’obésité, et a été étroitement impliquée dans la création d’ORBIT.